22 avril 2023 – Mise à jour le 1 mai 2024
Une protection solaire au quotidien est de plus en plus recommandée. Toutefois, des voix commencent à s’élever, dénonçant une utilisation abusive et potentiellement dangereuse de ces produits. Alors, on croit qui ?
Selon certains experts, les femmes appliqueraient beaucoup trop de filtres sur leur peau (qui sont, de fait, glissés dans la plupart des cosmétiques : les produits de soin, le maquillage, les capillaires, les vernis à ongles et même les parfums !). Cette accumulation de chimie, inutile dans une majorité de cas (car nous ne sommes pas exposés H24 à un rayonnement nécessitant une protection), pourrait sensibiliser la peau, voire entraîner de plus graves conséquences à long terme, sachant que l’on retrouve trace de ces filtres dans le sang, les urines et même le sperme et le lait maternel. Bigre, et moi qui ai l’habitude de relayer le message de bon nombre de dermatos que le meilleur anti-âge est une crème solaire, que penser de tout cela, du coup ? Eh bien je suis allée les rencontrer ces experts, et d’autres aussi. Le débat est ouvert !
L’anti-UV quotidien, une nouvelle mode ?
Céline Couteau, docteur en pharmacie et maître conférence à l’Université de Nantes en est persuadée. « La tendance vient des Etats-Unis et elle est encouragée par toute l’industrie cosmétique qui vend ainsi ses produits tout au long de l’année, alors qu’ils ne sont pas du tout, à la base, fait pour cela » soupire t-elle. « Je constate en effet, que beaucoup de mes patientes, ont le réflexe, depuis quelques années, d’appliquer une crème solaire dès le matin. Le geste fait partie intégrante de leur « routine » de soin. Et même le visage protégé derrière un masque, certaines en mettent une ! » rapporte le Dr Naima Midoun, dermatologue.
Un délire l’écran solaire tous les jours ?
« Personnellement, je n’ouvre mon parapluie que lorsqu’il pleut et non par principe. L’écran solaire ne devrait être appliqué qu’en présence d’un rayonnement solaire qui le nécessite et au moment même de l’exposition. Si on l’applique le matin et qu’on s’expose à midi, de toute le filtre s’est dégradé et n’est plus protecteur. La bonne idée, à mon sens est d’avoir un écran dans son sac et de le dégainer en cas de besoin. Mais le plein hiver à Paris ne me semble pas très risqué … » explique Lionel de Benetti, cosmétologue, ex-directeur de la recherche d’un grand groupe cosmétique. Et Naima Midoun d’appuyer : « Un écran solaire tous les jours relève selon moi du dogmatisme. L’utilisation de ces produits doit être plus nuancée, en fonction du niveau d’exposition et de la typologie peau de chacun ».
Des filtres anti-UV même en plein hiver ?
La Sécurité solaire elle-même considère qu’en-dessous d’un index UV de 3, l’écran n’est pas nécessaire. Problème : selon le Pr Thierry Passeron, Pr de Dermatologie et Chef équipe Inserm U1065, CHU de Nice, l’index UV ne prend en considération que le rayonnement UVB (celui responsable des coups de soleil) et non les UVA, qui sont présents dans le ciel toute l’année, pénètrent profondément la peau avec les répercussions que l’on connaît dans la survenue des cancers cutanés, des photodermatoses, de la pigmentation et du vieillissement cutané.« Si une crème SPF50+ tous les jours, notamment en hiver, est en effet ridicule à moins de vivre en altitude, une protection en UVA de 10-15 quotidiennement fait clairement sens si l’on ne vit pas dans sa cave » indique le spécialiste.
Super, sauf qu’aucun produit solaire en France n’indique clairement le niveau de protection en UVA. Les tubes portent simplement la mention « UVA » entourée d’un rond, mais zéro indice. Alors, comment fait-on ? Eh bien, il ne reste plus qu’à le calculer soi-même ! La réglementation impose aux fabricants de respecter un niveau de protection UVB trois fois plus important que pour les UVA. Un SPF 50 + correspond donc à une protection UVA de 20. Enfin, en théorie … car selon Céline Couteau, qui teste à longueur de journée des formules dans son laboratoire, de nombreux produits ne protègeraient pas suffisamment contre les UVA (glups). « Si vous avez un doute, achetez en pharmacie. C’est dans dans ce circuit où l’on trouve généralement les formules les plus sécurisantes » conseille t-elle.
Et mettre une crème de jour avec un filtre, c’est pareil ou pas ?
Eh non ! Mais là, je vous renvoie à ce sujet où j’avais déjà tout expliqué. Lire ici : Les contradictions de la cosmétique anti-âge.
Dangereux pour la peau un solaire toute l’année ?
« Un certain nombre d’anciens filtres chimiques, toujours utilisés aujourd’hui, sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens et comme il est avéré qu’il y a un risque de passage transcutané, je ne suis pas favorable à un usage non-stop. Principe de précaution. D’autant que leur accumulation dans l’environnement pose aussi problème » explique Céline Couteau, qui milite d’ailleurs pour une reclassification des écrans solaires en tant que médicaments, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. « Ces produits n’ont pour moi rien à faire au rayon cosmétique » indique t-elle. Il est cependant possible d’utiliser des filtres inorganiques, aussi appelés écrans minéraux. Eux sont a priori sans risques. « Mais seuls ceux de taille nanoparticulaire offrent une couvrance uniforme, donc une bonne photoprotection » précise notre spécialiste. Visez l’inscription [nano ] sur les packagings. « Le rendu sur la peau est cependant loin d’égaler celui des écrans chimiques » ajoute Lionel de Benetti.
« L’étude à laquelle on fait référence ici est basée sur l’application de 2 mg/cm2 de crème solaire, soit l’équivalent d’une balle de golf étalée sur 75 % de la surface du corps. Dans ce cas, il y a effectivement bien une petite absorption systémique ( = dans le sang) des filtres chimiques, mais cette quantité très importante de produit ne correspond en rien à l’usage qui est fait habituellement des produits solaires, et encore moins appliqués sur le visage. Par ailleurs, rien n’est prouvé au sujet des perturbateurs endocrinien contrairement à l’impact des UV qui, lui, est clairement démontré » rétorque le Pr Passeron.
Enfin, pour ceux qui s’inquièteraient que les filtres UV bloquent la synthèse de vitamine D, no stress. Les études ont montré que l’usage quotidien d’un écran solaire sous nos latitudes et chez des individus en bonne santé, ne la compromet pas.
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Un écran solaire, sur une peau lésée après un acte esthétique, on peut ?
Le risque encouru ici est celui de l’hyperpigmentation post-inflammatoire, des taches brunes survenant surtout sur les peaux mates et foncées. « La première recommandation est une protection physique des lésions avec le port d’un vêtement ou d’un pansement opaque. Sur le visage, un écran solaire à très large spectre anti-UVB/UVA/ lumière bleue est recommandé car il est prouvé que les UVA mais aussi la lumière du jour favorisent les taches, mais seules les formules contenant des pigments – des oxyde de fer – qui jouent un rôle de barrière physique envers la lumière visible, sont efficaces. Autrement dit l’écran solaire doit donc être teinté, sinon ça ne marche pas. Sur une peau lésée, il est évident qu’il y a une pénétration transcutanée des filtres mais elle est limitée dans le temps, fort heureusement » indique le Pr Passeron. Quoiqu’il en soit, toujours privilégier les écrans minéraux sur une peau qui vient de subir un acte esthétique.
En résumé, trois de mes interlocuteurs militent pour une application plus raisonnée des filtres, invoquant le principe de précaution. Le Pr Passeron quant à lui juge contre-productive et potentiellement dangereuse la polémique, qui risque de décourager encore davantage les consommateurs de se protéger, alors que le nombre de cancers cutanés double quasiment tous les dix ans. De mon côté, suite cette enquête, je ne vais plus appliquer systématiquement un écran le matin (c’est vrai, parfois je le mets alors que je ne sors même pas !). J’ai une peau sujette aux taches mais je pense qu’il est effectivement plus logique de réfléchir au temps passé à l’extérieur avant de me tartiner le visage et de bien penser surtout à le réappliquer en cours de journée. Dommage que les mini-sprays solaires, bien pratiques pour une application par-dessus le make-up, aient quasiment disparu des rayons !
Les experts
Céline Couteau, Naima Midoun, Lionel de Benetti, Thierry Passeron
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