20 novembre 2021
Quand une femme est défigurée par les coups, c’est vers le chirurgien plasticien qu’elle se tourne. Pour retrouver un visage et une dignité.
Dans le monde de l’esthétique médicale, on ne parle jamais de ce genre de sujet, pourtant relativement fréquent dans le quotidien de tout chirurgien plasticien. Eh oui, on ne voit souvent que la facette « paillettes » du métier, celle qui renvoie aux stars et à leurs retouches plus ou moins réussies, sur tapis rouge. Mais dans la qualification de chirurgien en chirurgie reconstructrice, plastique et esthétique, il y a aussi l’adjectif « reconstructrice ». Donc, quasiment tous, à un moment donné de leur carrière, sont confrontés à la triste réalité des violences intrafamiliales, même si, un très petit nombre d’entre eux pratiquent quotidiennement la chirurgie « qui répare » plutôt que « celle qui embellit ».
Quand j’ai découvert cet aspect du métier, j’avoue avoir été surprise aussi car aucun chirurgien n’avait jamais abordé cette douloureuse problématique avec moi. « Il y a une omerta sur le sujet, même si depuis deux ans, la parole s’est beaucoup libérée, suite à l’initiative de notre société scientifique de faire bouger les lignes, aux côtés de l’Ordre des médecins et d’autres représentants des professions de santé, en prenant notamment part au Grenelle contre les violence conjugales. Je dois dire que moi-même, quand jeune chirurgien, j’ai choisi cette voie de la médecine, je n’aurais jamais imaginé être confronté à autant de violences ! » indique le Dr Jacques Saboye, Secrétaire Général de la SOFCPRE (Société Française de Chirurgie Plastique, Reconstructrice & Esthétique).
Quel est le progrès dans l’aide aux victimes de violences intrafamiliales ?
Pendant longtemps, les chirurgiens esthétiques comme tous les professionnels de santé, ont été les témoins silencieux de ces drames qui se jouent au sein des familles, sans avoir la possibilité d’intervenir, étant liés par le secret médical. Mais depuis le 30 juillet 2020, une nouvelle loi modifie les dispositions de l’article 226-14 3° du Code Pénal leur donnant la possibilité, comme à tout personnel de santé, de déroger au secret, dès lors que des violences sont constatées sur une patiente majeure, en situation de danger immédiat et sous emprise, puis d’émettre un signalement au Procureur de la République. Et ce, sans recueillir le consentement de la victime. Ce dernier peut alors prendre rapidement les mesures de protection, d’éloignement notamment, qui s’imposent.
Quels sont les traumatismes résultant de violences intrafamiliales les plus fréquemment rencontrés en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ?
Les fractures de la face, qui défigurent illico : nez, os malaire, mâchoire … « On remet en place la cloison nasale déviée, on fait remonter l’os de la pommette, qui est enfoncé dans le sinus, puis on le fixe avec des plaques et des vis en titane. Même traitement pour la mâchoire cassée, qui est reconstruite et maintenue avec le même système » explique le Dr Saboye. Les suites : une difficulté à ouvrir la bouche pendant 3 semaines au moins et une alimentation mixée (de la purée, quoi) à tous les repas. Ce sont des fractures comparables à celles que l’on rencontre dans les sports de contact, type rugby.
Il y a aussi un traumatisme dont on parle moins, pourtant loin d’être anodin, ce sont les gifles données avec une grande violence. « Quand elles impactent l’oreille, cela crée une pression d’air à l’intérieur du conduit auditif et provoque à une perforation du tympan » rapporte le spécialiste. Ce sont les chirurgiens ORL là, en revanche, qui sont sollicités pour réparer cela, à partir d’une greffe (tympanoplastie).
Enfin, il y a aussi les dégâts plus graves encore causés par les armes à feu. « La balle qui traverse d’une part et d’autre le visage, j’ai déjà été confronté à ça. Certains patientes en meurent. Pour les autres, on répare les perforations en réalisant des greffes. Ce sont des opérations très complexes » témoigne le Dr Saboye.
Et l’on ne parle pas des viols et de l’impact psychologique immense qu’ils laissent sur les patientes, auxquels les chirurgiens esthétiques sont aussi indirectement confrontés. « Un jour, l’une d’elles âgée de 35 ans, avec une mâchoire très carrée, vient me consulter pour l’avoir plus fine. Une demande donc, à la base, purement esthétique. A la consultation post-op, la patiente est ravie. Elle bondit de joie. « Docteur, je suis tellement heureuse, vous ne pouvez pas savoir ! ». Je lui réponds, en plaisantant : « Ah, bon, à ce point ? ». Elle : « Oui, cela fait 20 ans que je vois le visage de mon père quand je me regarde dans le miroir ». Moi : « Ah ben, c’est plutôt sympa, ça non ? ». Elle : « Non, pas quand on a été violée pendant 15 ans par son père …». Et à aucun moment, au cours des consultations précédentes, cette patiente n’avait mentionné son aussi lourd passé ! Je dois dire qu’à chaque fois, je suis désarçonné », confie le Dr Saboye.
Le parcours d’une femme victime de violences
Dans 90 % des cas, il y a un déni sur l’origine du traumatisme. Les patientes prétextent une chute à vélo ou une porte qu’elles se seraient prise en plein visage, jusqu’à ce que, face au : « Vous êtes sûre, madame ? Cela n’y ressemble pas … » du chirurgien, elles avouent le coup de poing. A la honte se mêle évidemment la peur des représailles du conjoint. « Ce qui est terrible, c’est que celui qui a porté les coups, n’est jamais présent aux consultations préopératoires, ni le jour de l’intervention, du reste. Les femmes se rendent seules chez leur chirurgien. Mais trois fois sur quatre, le mari rapplique en post-op, une fois le visage réparé, l’infamie effacée. Certains vont même jusqu’à me tendre la main pour me remercier. « Bravo docteur, c’est du beau boulot ! » Et là, il faut beaucoup de self-control pour ne pas dire au mari tout le mal que l’on pense de son comportement », avoue le Dr Saboye.
Vous avez été confrontée à des violences (ou en êtes témoin), à quel spécialiste vous adresser (ou orienter la victime) ?
Tous les chirurgiens plasticiens ne font pas de chirurgie réparatrice. C’est donc la première chose à vérifier lors de la prise de rendez-vous, même si tous sont en mesure de réparer un nez cassé. En fait, tout dépend de la nature du traumatisme. Pour les pommettes ou la mâchoire, il est préférable de s’adresser à un chirurgien qui fait de la réparatrice ou de la chirurgie maxillo-faciale.
Certains hôpitaux sont réputés pour réparer ce genre de traumatismes, dignes de blessures de guerre, comme l’hôpital d’instruction des armées du Val-De-Grâce (Paris, 75005) ou Percy, à Clamart (92). Sinon, on me signale aussi le service de chirurgie de maxillo-faciale du CHU Amiens-Picardie qui, paraît-il, est très brillant aussi. Mais il y a aussi beaucoup d’autres services très pointus en région parisienne, notamment. Difficile de vous établir toute la liste …
Environ 150 femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint. A la veille de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, je me disais que ce sujet, rarement abordé, pouvait vous intéresser, même s’il est très difficile à lire. Il m’a, en tous les cas, beaucoup émue. Je voulais partager …
L’expert :
Dr Jacques Saboye
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